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En avril 1907, le docteur Duncan McDougall de Haverhill, Massachusetts, publie dans l’American Medicine le résultat d’une série d’expériences qu’il a réalisées dans le but de prouver que l’âme humaine a une masse et donc une réalité physique. Cet article, intitulé : « Hypothèses sur la substantialité de l’âme et preuves expérimentales de son existence » [1] est disponible en ligne sur de nombreux sites.

Le plan de la démonstration du Dr McDougall suit le schéma de la méthodologie scientifique : hypothèses, établissement d’un protocole, observations expérimentales puis interprétation des résultats et conclusions.

Regardons cette étude dans le détail.

 

 

 

Hypothèses


Le docteur McDougall cherche à démontrer la réalité physique de l’âme humaine. Il suppose dans un premier temps que :

  1. H1 : l’âme humaine existe et est liée organiquement au corps jusqu’à la mort.
  2. H2 : l’âme humaine occupe un espace dans le corps physique et a une masse.
  3. H3 : l’âme humaine quitte le corps au moment de la mort physique.

 

Protocole expérimental


Si ces hypothèses sont vérifiées, McDougall en déduit qu’une perte de masse due à la séparation de l’âme et du corps doit être mesurée au moment de la mort d’un être humain. Il raccorde donc un lit d’hôpital à une balance relativement précise et y place des sujets mourants dans le but d’observer cette variation de masse. Avec ce dispositif expérimental, McDougall ne mesure donc pas directement la masse du corps avant et après la mort mais la variation de masse du lit sur lequel repose le sujet, au moment de sa mort.

McDougall réalise deux séries d’expériences : la première avec 6 patients humains, la seconde avec 15 chiens. Son dispositif lui permet de mesurer l’éventuelle variation de masse au moment du décès avec une précision de 5,67 g (2/10 d’une once [2]) dans la première expérience et de 1,77 g (1/16 d’une once [2]) dans la seconde.

Précautions expérimentales


La difficulté du protocole consiste à s’assurer que l’éventuelle perte de masse mesurée ne peut être imputée au mouvement, par les voies naturelles (bouche, nez, pores, anus…), d’aucune autre substance identifiée. McDougall en conclurait alors que la perte de masse ne peut être due qu’à la disparition d’une substance inconnue, assimilable à l’âme. Il lui faut donc être sûr que la masse de tout autre fluide (air, eau, urine…) ou matière (fèces, cheveux, peau…) s’échappant naturellement du corps est prise en compte et/ou mesurée précisément.

McDougall vérifie en se plaçant sur le lit que de fortes inspirations et expirations du sujet n’ont pas d’influence significative sur la mesure de la masse totale. Il mesure également durant les heures qui précèdent le trépas la perte de masse progressive due à l’évaporation de la transpiration du patient.

De plus, les déchets organiques (urine, excréments) expulsés du corps au moment du décès restent sur le lit et leur masse est donc prise en compte dans la mesure de la masse totale.

Enfin, pour éviter les mouvements et convulsions du sujet moribond pouvant perturber la mesure, le Dr McDougall administre aux chiens un sédatif et choisit des patients atteints de tuberculose, qui dans leurs dernières heures restent relativement immobiles.

D’après McDougall, ces précautions permettent d’affirmer que la perte de masse éventuellement mesurée ne peut être due ni à une expulsion soudaine, au moment de la mort, de l’air contenu dans les poumons, ni à un vidage des organes internes (vessie, intestins), ni à une évaporation de la transpiration, ni à un mouvement du sujet.

 

 

 

Observations expérimentales


Les six expériences réalisées sur des êtres humains sont présentées dans le tableau suivant. Seules quatre d’entre elles ont donné un résultat que McDougall juge exploitable.

 

Sujets Maladie Evaporation Perte de masse suite au décès Remarque
Homme 1 Tuberculose 28,35 g/h 21,26 g Perte soudaine, rapide et importante coïncidant précisément avec le décès
Homme 2 Tuberculose 21,26 g/h 45,76 g Diminution de la masse progressive. Heure de la mort difficilement déterminable
Homme 3 Tuberculose Non précisé 70,87 g 42,52g au moment de la mort puis 28,35 quelques minutes après
Femme 4 Coma diabétique Non précisé / Mesure perturbée par des opposants à l’expérience
Homme 5 Tuberculose Non précisé 10,63 g Variation soudaine
Homme 6 NC Non précisé / Expérience précipitée. Mesure non utilisable

Les quinze expériences avec les chiens ont toutes donné le même résultat : aucune perte de masse n’a été mesurée au moment du décès.

Conclusions du Dr McDougall


Le Docteur McDougall conclut de ses expériences que :

  1. A la mort d’un être humain, une perte de masse soudaine est mesurable. Elle est inexplicable par le mouvement d’une substance connue, par les canaux habituels.
  2. Cette substance inconnue qui disparaît à la mort d’un Homme n’existe pas chez le chien.

Dans son article de l’American Medicine, McDougall nuance ses conclusions, ayant conscience du petit nombre d’expériences réalisées. Mais il reste persuadé que cette substance inconnue peut être assimilée à l’âme et que, conformément aux croyances religieuses de son époque, elle constitue une distinction claire entre l’Homme et l’animal.

Cette expérience a fait les gros titres du New York Times en 1907. « L’AME A UN POIDS, SELON UN MEDECIN » [3].

Dans l’interview qu’il accorde au journal en mars, avant la publication de son article dans l’American Medecine, le Dr McDougall est moins mesuré. Il affirme notamment que lors de ses six expériences : « Il a été établi qu’une masse allant d’une demi once à une once quittait le corps au moment du dernier souffle » [4] et présente donc son travail comme une preuve scientifique de l’existence de l’âme humaine.

La première expérience réalisée par McDougall lui a permis de mesurer une perte de masse d’environ 21 grammes coïncidant, d’après lui précisément au moment du décès du sujet. La mémoire populaire n’a retenu que ce résultat, admis comme une vérité scientifique. La légende urbaine de l’âme humaine pesant exactement 21 grammes s’est ensuite propagée. Elle alimente encore de nos jours l’imaginaire de cinéastes et écrivains [5].

Un peu de zététique


L’étude du Dr McDougall comporte un certain nombre d’imprécisions et de maladresses qui doivent inciter à la prudence vis à vis de la validité de ses conclusions.

Il est évident, et le Dr McDougall l’admet lui-même, que le nombre d’expériences réalisées est insuffisant pour conclure sur la valeur de la masse de l’âme humaine, sa constance et même son existence. Les mesures du Dr McDougall sont en effet trop peu nombreuses, trop imprécises et trop dispersées. « Je suis conscient qu’un grand nombre d’expériences serait nécessaire afin de le prouver au delà de tout risque d’erreur[…] » [6]

Même si le dispositif expérimental peut sembler rudimentaire de part sa description sommaire et sa sensibilité, le défaut principal du protocole est avant tout de ne pas donner une définition précise du moment de la mort (arrêt du cœur, de la respiration, …). Ce point est pourtant un élément essentiel de l’expérimentation. Cette lacune a d’ailleurs gêné le Dr McDougall à plusieurs reprises : « […] Nous avons eu beaucoup de difficultés pour déterminer le moment exact de sa [Homme2, nda] mort selon les critères habituels » [7].

De plus, McDougall ne décrit pas dans son compte-rendu la manière utilisée pour attester le décès du sujet : a-t-il alors fallu le toucher? Probablement : « Mes collègues ont ausculté le coeur, il s’était arrêté » [8]. Cette manœuvre n’a-t-elle pas pu influencer la mesure ?

Mais les critiques les plus importantes concernent le raisonnement. Avant de réaliser son expérience, le Dr McDougall admet certaines hypothèses : existence d’une âme humaine ayant un volume et une masse et quittant le corps au moment du décès. Il raisonne ensuite par déduction logique : ses hypothèses impliquent qu’à la mort d’un être humain, la masse de son corps doit diminuer. C’est donc cette observation expérimentale qu’il cherche à mettre en évidence.

Cependant, si A implique B, l’observation du phénomène B ne permet pas d’affirmer que l’hypothèse A est vraie. Il est également impossible de déduire de l’observation de B que l’hypothèse A est fausse. En revanche, si le phénomène B n’est pas observé, on peut alors affirmer que l’hypothèse A est fausse.

En langage mathématique, cela signifie qu’une implication n’est pas forcément une équivalence : la proposition (A implique B) ne permet pas d’affirmer que sa réciproque, (B implique A), est vraie. En revanche si A implique B, non-B implique non-A. Autrement dit, observer une perte de masse à la mort d’un Homme ne permet absolument pas de conclure sur la réalité physique de l’âme humaine, même si cette explication du phénomène reste plausible.

Cette erreur de logique est assez fréquente. Elle aboutit très souvent à ce que l’on nomme en zététique, l’effet cerceau dont le raisonnement du Dr McDougall est un exemple. Cet effet consiste à admettre au départ ce que l’on souhaite prouver par la démonstration ou l’expérience que l’on réalise. En effet, pour démontrer que l’âme humaine existe, le Dr McDougall admet au départ… son existence ! Il raisonne donc schématiquement de cette manière :

1- Il admet l’existence de l’âme humaine, sa matérialité et sa disparition au moment de la mort.
2- Il mesure une variation de masse au moment de la mort.
3- Il estime que cette diminution de masse ne peut s’expliquer par la disparition d’aucune substance connue.
4- Cette substance inconnue est donc l’âme humaine.
5- Conclusion : l’âme humaine existe.

De plus, lorsque la perte de masse ne se produit pas au moment exact du décès mais dans les minutes qui suivent, le Dr McDougall l’explique simplement : « Je crois que dans ce cas, celui d’un homme flegmatique lent de corps et d’esprit, l’âme est restée dans le corps après la mort » [9]. L’âme humaine a donc une masse qui s’échappe au moment de la mort puisqu’en fonction du caractère du sujet, elle disparaît plus ou moins vite…

La preuve est bien insuffisante. D’ailleurs, d’autres scientifiques, comme le Dr Augustus P. Clarke, estimèrent que la perte de masse mesurée dans ces expériences était peut être due à une soudaine augmentation de température du corps au moment du décès du fait de l’arrêt de la circulation sanguine, pouvant alors causer une forte évaporation de la transpiration [10].

En ce qui concerne ses expériences avec les chiens, il est très probable que le Dr McDougall ait été fortement influencé par les croyances de son époque. Seule une expérience en double aveugle, alternant aléatoirement humains et chiens, aurait pu donner davantage de crédit à ses résultats.

Conclusion


Les expériences du Dr McDougall n’apportent finalement pas la preuve scientifique de l’existence matérielle de l’âme humaine. Malgré l’importance de la question qu’elles soulèvent, il semble que ces expériences n’aient pas été reproduites, pas même par le Dr McDougall. En tout cas, le résultat de telles études, positif ou négatif, n’a fait l’objet d’aucune autre publication.

Un siècle après les recherches du Dr McDougall, les processus naturels complexes de décomposition progressive d’un cadavre par bactéries et enzymes sont mieux connus. Ils n’ont pas apporté d’autre preuve de l’existence physique de l’âme mais montrent qu’inévitablement nous retournerons à la poussière…

Géraldine Fabre


Notes :

[1] « Hypothesis concerning soul substance together with experimental evidence of the existence of such substance« .
[2] 1 once = 28,36 grammes
[3] « SOUL HAS WEIGHT, PHYSICIAN THINKS« .
[4] « It was established that a weight of from one-half to a full ounce departed from the body at the moment of expiration« .
[5] Le peseur d’âmes, le roman d’André Maurois ou 21 grammes, le film d’Alejandro González Inárritu.
[6] « I am aware that a large number of experiments would require to be made before the matter can be proved beyond any possibility of error« .
[7] « we had great doubts from the ordinary evidence to say just what moment he [Homme2, nda] died. »
[8] « My colleague auscultated the heart and found it stopped. »
[9] « I believe in that case, that of a phlegmatic man slow of thought and action, that the soul remained suspended in the body after death« .
[10] d’après http://www.snopes.com/religion/soulweight.asp

Références :

21 grammes, le poids d’une âme…