Écrit par Richard Monvoisin
13 Octobre 2006

Boris, ancien étudiant zététicien, m’envoie circonspect cet article signé Arnaud de Vaubicourt intitulé « Utiliser Linux élargirait la taille de votre pénis… » : http://www.homme.lycos.fr/news/sociomale/linux

Voilà ce qu’on peut lire :

« Les utilisateurs du système d’exploitation informatique Linux auraient un plus gros pénis que la moyenne ! Le très célèbre et non moins sérieux Kinsey Institutes for Sex Studies (du scientifique Alfred Kinsey) a réussi à prouver, sur une étude de 6 mois, que la taille moyenne du pénis des utilisateurs de Linux était supérieure à celle des utilisateurs de Windows ou Mac OS… Étrange non ? »

 

Tiens donc…

Je vais tenter de faire mon « zététicien moyen ». Quelques points seulement, sur l’information, d’abord. Sur sa trituration ensuite. Sur son origine enfin.

 

1. L’information

Un délice.

Si je comprends bien le premier paragraphe :

  • les chercheurs ont dû faire la somme de la taille de tous les pénis de l’échantillon (non précisé) d’utilisateurs de Linux ;
  • puis ils ont semble-t-il divisé par le nombre d’utilisateurs ; OK ;
  • ensuite, ils ont certainement fait pareil avec des utilisateurs Windows ou Mac OS (sous-entendu pour un échantillon de même nombre, non précisé) ;
  • constat : la moyenne des zizis Linux est supérieure à celle des Windows & MacOS.

1er biais possible : l’incertitude sur les résultats

Si on ne précise pas l’écart-type, cette comparaison ne veut pas dire grand-chose. Imaginons que dans le groupe Windows, tous sans exception aient un pénis de 10 cm (moyenne : 10 cm). Imaginons que chez Linux, tous aient un pénis de 9 cm, sauf un, extrêmement membré, atteignant les 70 cm. Faites la moyenne, et pof. La moyenne des zizis Linux est supérieure à celle des autres, mais la majorité des linuxiens en ont une plus petite. Passons sur les affres de l’échantillonnage (les utilisateurs étaient-ils volontaires, tirés au sort, etc.) et du protocole, dont on ne sait rien.

2e biais possible : le sophisme écologiqueLa moyenne des zizis n’est pas le zizi moyen d’une population. D’une, parce que les statistiques peuvent être roussies (voir 1er biais), de deux parce qu’un « zizi moyen » d’une population, ça ne signifie pas grand-chose. On parle dans ce cas de sophisme écologique (voir encadré), c’est-à-dire l’art fallacieux de transposer à des individus des relations établies pour des populations entières.

2e biais possible : le sophisme écologique

La moyenne des zizis n’est pas le zizi moyen d’une population. D’une, parce que les statistiques peuvent être roussies (voir 1er biais), de deux parce qu’un « zizi moyen » d’une population, ça ne signifie pas grand-chose. On parle dans ce cas de sophisme écologique (voir encadré), c’est-à-dire l’art fallacieux de transposer à des individus des relations établies pour des populations entières.

 

Le sophisme écologique : j’ai rencontré ce terme pour la première fois chez Skrabanek et McCormick, dans « Idées folles et idées fausses en médecine », Odile Jacob, 1993, p. 36.

Le cas typique est celui de la recommandation à un individu d’un trait de régime particulier propre à un peuple réputé vivre vieux (Sardes, Japonais, etc.). Ces auteurs insistent sur l’importance que prend ce sophisme dans des domaines comme la prévention des cardiopathies ischémiques. La mortalité due à cette affection a été corrélée à de très nombreuses variables, parfois différentes d’un pays à l’autre. De nombreux médecins ont ainsi été conditionnés à recommander des modifications de régime et de style de vie sans l’appui démonstratif de données expérimentales. « Fait étonnant, ajoutent-ils, le taux de mortalité infantile et le nombre de médecins sont parallèles dans dix-huit pays développés (référence : éditorial, « The anomaly that wouldn’t go away », Lancet, nov. 1978, 4;2(8097)). Ce serait cependant pousser le bouchon un peu loin que de recommander, sur la foi de cette observation, de limiter le nombre de médecins. » On retrouvera ce sophisme agrémenté de l’argument d’exotisme dans les thérapies Nouvel-Âge : parce que nos anciens/les Bushmen du Kalahari/les Aborigènes/Les Indiens d’Amazonie/les Tibétains ont telle ou telle aptitude, il est conseillé d’emprunter un élément de leur régime qui corrobore la pseudo-théorie médicale. De tels argumentaires sont vantés dans les thérapies ayurvédiques et dans le mouvement du crudivorisme et de l’instinctothérapie en France.

Pour une approche plus poussée de ce sophisme, voir S. Greenland et J. Robins, « Invited commentary: ecological studies-biases, misconceptions, and counterexamples », Am. J. Epidemiol., 1994, 139:747-60.

 

3e biais possible : l’effet cigogne et ses variantes

Mangeur de cigogne

 

La moyenne des zizis des linuxiens est dite supérieure à celle des windows-maciens. Est-ce suffisant pour y voir une causalité ? Il semble que oui pour cet article, qui pérore en titre : « Utiliser Linux élargirait la taille de votre pénis… ». Sauf qu’à tout bien réfléchir, on pourrait y voir…

Un effet lotus (ou causalité inversée) : ce pourrait être le fait d’avoir un gros zboub qui pourrait faire choisir Linux, qui sait ?

Un effet cigogne « collatéral »[1] : ce pourrait être un troisième paramètre qui crée cette corrélation. Par exemple, mettons que les pénis, frais, soient plus grands chez les jeunes (je n’en sais rien). Linux, système d’exploitation politiquement contestataire, trouve racine chez une majorité de jeunes. CQFD. L’âge serait alors le facteur collatéral. Ou bien tout simplement le temps passé devant l’ordi (voir la suite). Comme me le disait tantôt un valeureux relecteur anonyme de notre raboteux Comité de Lecture, « Cela rejoint le problème plus général du biais sur l’échantillonnage. Si par exemple les utilisateurs de Linux sont plus nombreux dans la Recherche et l’Université que dans les entreprises industrielles ou de service, alors il se peut que de ce fait, ils appartiennent plus généralement à une population possédant statistiquement d’autres caractéristiques (mode de vie, âge…) pouvant être corrélées avec la taille de leur zizi. Pour éviter ce biais, il faudrait être sûr de la méthode d’échantillonnage. »[2]

Un tri de paramètre. Lorsque les sujets sont multi-paramétrés, il est extrêmement risqué de ne cerner qu’une seule variable. Il y a tellement d’autres facteurs que Linux pouvant intervenir qu’il est hautement risqué de traduire cela en causalité.[3]

 

2. la trituration

Je vous livre la suite de l’article.

« Explication avancée par l’Institut : les « Linux users » gagnent 1 cm de diamètre en 6 mois car ils passent plus de temps sur leur ordinateur que les « Windows ou Mac OS users », ceci étant dû aux applications généralement plus pointues qu’implique ce système. Les « Linux users » sont donc soumis à plus de radiations émanant du moniteur, ce qui aurait une influence directe sur la dilatation des vaisseaux sanguins de la verge…
(…) »

Comparons alors ces quatre phrases :

  • A. (ligne 2) « (…) la taille moyenne du pénis des (…) Linux [est] supérieure à celle des (…) Windows ou Mac OS » ;
  • B. (ligne 1) « Les utilisateurs (…) Linux auraient[4] un plus gros pénis que la moyenne ! » ;
  • C. (Titre) « Utiliser Linux élargirait la taille de votre pénis… » ;
  • D. (ligne 6) « les « Linux users » gagnent 1 cm de diamètre en 6 mois car ils passent plus de temps sur leur ordinateur ».

C’est quand même fort ! Pour une même étude, quatre conclusions qui ne se recouvrent pas.

C’est donc le « temps » passé devant l’ordinateur qui serait responsable de cette (ex)croissance, et non Linux. Ce n’est plus la même chose que ce qui est raconté dans le premier paragraphe, et encore moins ce qui est titré. Sans être mauvaise langue, on s’est un peu payé notre tête. J’appelle cela l’effet Peau de Chagrin, lorsque la véritable portée de l’étude discutée n’a plus commune mesure avec le titre ou l’entête de l’article qui la rapporte.

Toutefois, petit conseil aux utilisateurs de Linux : gagner 1 cm de diamètre signifie 3 cm de circonférence en plus. Si cette croissance est continue, il va falloir vous équiper des slips de Hulk – qui comme chacun sait n’explosent pas quand il se transforme.

Hulk et son slip

Jon Roscetti, Experiment333

 

3. l’origine de l’information…
…est fondamentale.

Un proverbe zététicien dit « Source, je boirai de ton eau ». Dans l’article, on nous révèle que l’étude provient du Kinsey Institutes for Sex Studies. Sauf qu’en tant que tel, le Kinsey Institutes for Sex Studies[5] n’existe pas. Ce qui existe, par contre, c’est le Kinsey Institute for Research in Sex, Gender & Reproduction, de l’Université d’Indiana.
ça n’existe pas

À un bémol près : je ne parviens pas à retrouver la référence de départ.

J’ai bien remonté un cran, jusqu’à la brève « Kinsey Institute Says Linux Users have Bigger Penises » (qui contient la même faute que la française) ; mais pas plus loin. Le moteur de recherche de Kinsey Inst. ne donne rien sur les mots-clés que j’ai tenté, et le site Sexscience ne recense pas d’étude de ce genre.

Cette annonce serait-elle basée sur du vent ? Je n’en sais rien. Ce qui est clair, c’est qu’entre 15 h et 20 h ce vendredi 13 octobre 2006, le nombre de sites reprenant l’information a décuplé. Multiplication d’information pas fiable, aucun moyen de contrôle dessus, la légèreté de certains médias laisse pantois.

 

Ami, entends-tu le bruit sourd des effets cigogne sur la plaine ?

L’imaginaire sur la taille du sexe fait recette depuis longtemps et si les vieux pots font les meilleures soupes et les petits ruisseaux les grandes rivières, les gros sexes de font pas forcément les bons « coups ». Pour les mâles inquiets, je ne peux que leur retirer les pines du pied et indiquer deux études :

William A. Fisher, Nyla R. Branscombe et Charles R. Lemery, « The bigger the better? Arousal and attributional responses to erotic stimuli that depict different size penises », Journal of Sex Research, 1983, 19(4), pp 377-396.

Karl D. Furr, « Penis size and magnitude of erectile change as spurious factors in estimating sexual arousal », Sexual Abuse : A Journal of Research and Treatment, Springer Netherlands Volume 4, n° 3-4, septembre 1991, p. 265-279.

Parions que dès qu’un semblant de corrélation viendra accoler taille du pénis et un paramètre, quel qu’il soit, le vol lourd du mythique effet cigogne entre gros pénis et « prestation » sexuelle bruissera alentour, tant il s’agit d’un des classiques de l’inquiétude genrée masculine.

 

Ne voulant pas laisser les utilisateurs de Linux désemparés, l’Observatoire zététique vous propose ici une alternative (féconde) testée par Éric Bévillard, un de ses courageux membres.[6]

 

Prochaine fois, je vous parlerai de « vols de sexe » et de « rétractations de pénis » orchestrée par des puissances occultes. De quoi frémir au fond des caleçons molletonnés.

Richard Monvoisin, vendredi 13 octobre 2006.

 

Notes

[1] Appelé aussi cum hoc ergo propter hoc. L’exemple typique, c’est la corrélation entre la pointure et le niveau en mathématiques chez les collégiens, le troisième paramètre étant, bien sûr, l’âge des adolescents.

[2] Sur les diverses méthodes, voir par exemple ici.

[3] Pour les connaisseurs, on peut y lire un raisonnement panglossien.

[4] Je m’arrête un instant sur ce conditionnel passé, qui est récurrent dans ce type d’articles. On balance une salve, mais on se « couvre » en nuançant le propos en cours de route. « Le très célèbre et non moins sérieux Kinsey […] a réussi à prouver » la chose, alors pourquoi un tel conditionnel ? J’y vois une manière d’assurer ses arrières en cas de grabuge.

[5] Notez que la formule « Le très célèbre et non moins sérieux Kinsey Institutes » est plein d’enseignements : lorsque j’entends « très célèbre et non moins sérieux », mon sens « araignée » allergique aux arguments d’autorité m’alerte. En outre, le style et la faute (pas d’s à Institutes) permettent de voir qui a repompé tel quelle l’information sur la toile.

[6] Bon, ça, OK, c’est faux. C’est pas Éric Bevillard, c’est Nicolas Gaillard.

 

Baudruche médiatique : Linux et les pénis