Analyse critique d’un protocole expérimental destiné à prouver la validité de l’astrologie grâce à l’étude caractérologique de 251 couples de jumeaux.

Écrit par Frédéric Lequèvre (15 Mars 2006)

1. Introduction

Les jumeaux constituent un sujet de choix pour la recherche scientifique. Les « vrais jumeaux », dits monozygotes, ont en commun le même matériel génétique car ils sont issus de la division du même œuf. C’est pourquoi ils ont été beaucoup étudiés en biologie et en psychologie. Ils permettent en effet de distinguer les influences respectives de l’inné et de l’acquis.

Du point de vue de l’astrologie généthliaquedef 1
, les jumeaux ont des thèmes de naissance presque identiques. Nés en un même lieu à quelques minutes d’intervalle dans la plupart des cas, les jumeaux ont dans leur ciel de naissance des configurations planétaires identiques. En revanche, les positions desdites planètes par rapport à l’horizon peuvent différer de façon notable à cause du mouvement de rotation de la terre sur elle-même. Par exemple, deux jumeaux étant nés à cinq minutes d’intervalle, la planète Mars peut être plus proche de l’horizon pour le premier né que pour le second.

Exploitant cette différence, la biologiste Suzel Fuzeau-Braesch (SFB) tente de prouver expérimentalement la validité de l’astrologie généthliaque. L’idée en est la suivante : si la position des planètes situées près de l’horizon au lever ou au coucher (ou bien près de la culminationdef) est un paramètre astrologique pertinent, alors les écarts de position entre les planètes des deux jumeaux devront se traduire par des différences de traits de caractères. En outre, si l’influence des différence d’angularitédef des planètes est démontrée chez des jumeaux (où les différences sont très faibles), elle le sera a fortiori dans le cas général de deux personnes prises au hasard. Les résultats de cette expérience ont été publiés dans l’ouvrage « Astrologie : la preuve par deux », paru en 1992 [1].

2. Vers une astrologie scientifique ?

L’astrologie postule qu’il existe une relation entre les positions des astres sur la voûte céleste à la naissance d’un individu et son caractère. Ce principe premier étant posé, il reste à vérifier si « ça marche ». D’emblée la quatrième de couverture situe la démarche de l’auteur comme résolument scientifique :

« Suzel Fuzeau-Braesch n’est pas un auteur comme les autres. Rationaliste et déterministe, elle est cependant pleinement consciente de l’immense complexité de l’univers.

Astrologie : la preuve par deux est l’aboutissement de longues années d’étude. Il ne s’agit pas d’un traité d’astrologie ni d’un ouvrage d’astrologue comme il s’en publie tant. C’est la premier test irréfutable d’une scientifique en quête de vérité. »

La démarche expérimentale est donc clairement affichée, la présentation de l’ouvrage (quatrième de couverture) se terminant d’ailleurs ainsi : « Si les faits scientifiques ne correspondent pas aux préjugés anti-astrologiques, c’est peut-être qu’il est temps de les abandonner ? » 2

D’un point de vue théorique, l’auteur défend une approche déterministe de l’astrologie : les astres auraient une influence sur les individus, passant par une action physique à distance. Après avoir donné des indications sur les origines historiques de l’astrologie dans un premier chapitre, Suzel Fuzeau-Braesch renvoie dos à dos dans le deuxième chapitre les astrologues qui méconnaissent la science et les scientifiques qui s’opposent à l’astrologie sans la connaître. SFB s’en prend à certaines affirmations péremptoires d’Élizabeth Teissier en considérant son approche à juste titre comme « plus spectaculaire et journalistique que scientifique » (p. 92). À l’opposé elle rejette les conceptions symbolistes d’astrologues comme Solange de Mailly-Nesle qui définit l’astrologie comme une science de l’âme s’appuyant sur le caractère symbolique de l’image de l’être humain. En ce qui concerne les critiques sceptiques de l’astrologie, SFB réfute l’expérience en double aveugle de Carlson 3 , et les résultats en psychologie concernant l’effet Barnumdef. Elle s’appuie pour cela sur une critique des protocoles expérimentaux. L’explication du « fait astrologique » tiendrait donc bien, selon cet auteur, à une « causalité » : « N’étant pas capable de concevoir un fait sans cause, sans tomber dans le surnaturel et l’occulte, j’accorde a priori aux faits astrologiques un processus causal, encore inconnu dans l’état actuel de la science. Mais affirmer cette causalité est nécessaire si l’on veut, d’une part, intégrer le fait astrologique dans le champ scientifique et d’autre part, si l’on désire avoir des chances de découvrir cette causalité (ou ces causalités). » (p. 209).

Forte de ses résultats expérimentaux sur les jumeaux exposés dans son troisième chapitre, SFB tente dans le quatrième chapitre intitulé « le déterminisme astrologique » d’éclairer le lecteur sur la nature de cette influence. Elle s’appuie pour cela sur la théorie de P. Seymour, théorie qui fait appel à l’influence des planètes sur le champ magnétique terrestre via l’activité du Soleil. En prenant la précaution de présenter cette théorie comme spéculative (c’est-à-dire pour le moment dépourvue de vérification expérimentale), SFB en décrit les grandes lignes tout en discutant les différents arguments de ses détracteurs. En revanche, elle n’aborde pas la principale pierre d’achoppement de cette théorie, à savoir le problème du délai dans la transmission de l’information qu’implique ce modèle4.

Nous ne développerons pas ici plus avant les arguments théoriques et spéculatifs, pour nous concentrer davantage sur le protocole expérimental.

3. Le principe de l’expérience – les deux méthodes

SFB dresse les thèmes de naissances pour 251 couples de jumeaux puis interprète les différences observées en termes très concis et polarisés, du type « plus expansif / plus réservé ». Puis elle soumet ces propositions aux jumeaux (ou à leurs familles) en leur demandant de préciser auquel des deux se réfère chaque description. Les réponses retournées sont traitées statistiquement. Alors que des caractères attribués au hasard auraient abouti à un nombre de réponses « justes » et « inverses » proche, les réponses justes 5 sont très majoritaires :

Réponses « justes » 153
Réponses « inverses » 65
Réponses « nulles » 20
Absence de réponse 13
Total 251
Tableau 1 : réponses obtenues par Suzel Fuzeau-Braesch auprès des familles des jumeaux après leur avoir proposé les descriptifs astro-psychologiques. Les réponses « nulles » sont celles où les familles n’ont pu attribuer les textes descriptifs aux jumeaux.

 

SFB de conclure :

« On peut désormais affirmer que l’intervalle horaire de naissance de jumeaux peut être à l’origine d’une partie de leur différenciation psychologique et comportementale détectable sur la base respective de leurs deux cartes du ciel de naissance.
L’étude réalisée sur une population initiale de 251 paires de jumeaux, traitée de façon statistique, permet de dire clairement qu’autre chose que le hasard préside à la polarisation du couple gémellaire vers deux individus psychologiquement distincts et conclure que le facteur astrologique existe bel et bien. » (p. 207).

Afin de rédiger les textes proposés aux familles sur la base des cartes du ciel des jumeaux, SFB utilise deux méthodes. La « méthode 1 » utilise la position des planètes sur la voûte céleste, la « méthode 2 », les signes du zodiaque :

« … il a fallu se plier à quelques règles très précises et en particulier adopter la règle des « tendances zodiacales » des ascendants et celle des « tendances planétaires » ; une planète angulaire est plus forte pour l’individu dont l’angle est le plus faible et cela à la minute près. » (p. 133).

Les deux méthodes, bien que faisant appel à des éléments de nature très différente, donnent des résultats quasiment identiques. Signalons qu’une méthode mixte, utilisant les deux types d’éléments conjointement, est aussi utilisée et donne des résultats également significatifs. Examinons de plus près les protocoles liés à ces deux méthodes.

4. Première méthode : les planètes angulaires

4.1. La base revendiquée : les statistiques de Michel Gauquelin

Avec cette première méthode SFB s’appuie en grande partie sur les résultats statistiques de Michel Gauquelin (MG). Le célèbre « effet Mars », qui a été étudié successivement par plusieurs scientifiques6, et qui est à l’origine d’une controverse encore vive, représente une petite part d’un vaste travail statistique entrepris par Michel Gauquelin dans les années cinquante. Cet auteur a publié de nombreux résultats souvent cités dans les ouvrages astrologiques, concernant les planètes Vénus, Mars, Jupiter, Saturne ainsi que la Lune. Ni les autres planètes, ni le Soleil, pas plus que les signes zodiacaux, n’ont donné selon Gauquelin de résultat significatif sur le plan statistique. MG calcule les positions planétaires de nombreux sportifs parmi les plus célèbres (associés à Mars) ou de scientifiques ou médecins renommés7 (associés à Saturne). Selon lui, par exemple, ces derniers ont une tendance statistiquement significative à naître lorsque Saturne vient de se lever ou de culminer.

Sur le plan astronomique, le travail de Gauquelin est rigoureux. Il n’utilise pas le classique thème astral des astrologues, qui projette les positions planétaires sur le zodiaque, mais il utilise la position de la planète réelle sur la voûte céleste (voir annexe 1). En réalité il calcule l’heure de lever et de coucher de chaque planète puis « découpe » l’arc diurne (c’est à dire la trajectoire apparente de l’astre au dessus de l’horizon) en six secteurs. Le secteur n°1 est celui traversé juste après le lever de la planète, le secteur n°4 juste après sa culmination supérieure. Ce découpage rappelle les maisons astrologiques classiques (c’est pourquoi on parle parfois de « néoastrologie »), mais ne constitue en réalité qu’une méthode courante en statistique de créer des classesdef : les sportifs célèbres seraient plus nombreux que les individus lambda à naître avec Mars en secteur 1. Ce qui ne signifie pas selon MG que les individus non sportifs ne sont pas influencés par Mars, mais que le caractère pugnace et énergique attaché à cette planète s’est révélé au travers des statistiques par l’intermédiaire des sportifs.

4.2. Une confusion d’ordre astronomique

Cependant, si ces statistiques sont abondamment commentées dans l’ouvrage de SFB et si cette dernière s’en inspire, la rigueur astronomique reconnue des travaux de Gauquelin ne semble plus de mise dans ceux de SFB :

« Ainsi, nous voilà en possession d’une première base pour notre recherche personnelle : celle de l’influence de la planète qui se lève ou culmine et, à un degré moindre, se couche, ou se situe au « nadir » ( = culmination inférieure). Ce n’est rien d’autre que les « angles » de l’astrologie, déjà rencontrés dans le premier chapitre » (p. 111).

Le problème est que les anglesdef utilisés en astrologie (ascendantdef AS, milieu de ciel MC, descendant DS et fond de ciel FC) ne coïncident pas avec les points de lever, culminationdef supérieure, coucher et culmination inférieure (pas plus que cette dernière ne correspond au nadir, qui est le point opposé au zénith). Ce que les astrologues ont défini comme l’ascendant (AS) est le point de l’écliptiquedef situé sur l’horizon Est (voir figure 1). Les planètes n’étant pas situées exactement dans le plan de l’écliptique, les points de lever ne coïncident pas avec le point dénommé AS8. Ainsi, une planète située en AS est certes proche de son lever, mais n’est pas exactement en son lever. Elle peut être soit déjà levée, soit sur le point de se lever. Pour des raisons de commodité, les astrologues tracent la « carte du ciel » en plaçant les planètes sur le cercle de l’écliptique grâce à sa longitude écliptique. La latitude écliptique, qui représente l’écart en degrés entre la position réelle de la planète et sa position fictive sur le cercle du zodiaque, est loin d’être négligeable. Nous donnons dans l’annexe 2 les valeurs des inclinaisons des orbites planétaires pas rapport au plan de l’écliptique.

On peut donc s’attendre à des écarts significatifs entre ascendant et lever réel, d’autant plus importants pour la planète Pluton que son orbite est la plus inclinée par rapport à l’écliptique.

La lecture de l’ouvrage de SFB ne laisse pas de doute sur le fait que cette variable importante, la latitude écliptique, a été complètement occultée. SFB est très explicite lorsqu’elle présente la réalisation des « cartes des ciels de naissance » :

« Le logiciel trace le zodiaque tropique de 12 signes et y positionne :

Les différents éléments du ciel pris en considération, soit le Soleil, la Lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, Neptune, Uranus et Pluton ;

Les angles : lever, culmination, coucher que nous appellerons respectivement, selon la tradition astrologique (pourquoi ne pas l’utiliser ?) : Ascendant qui s’abrège commodément en AS, Milieu de ciel : MC, et descendant = DS. » (p. 116)

Cette confusion entre tradition astrologique (AS, MC, DS) d’une part et notions astronomiques (lever, culmination, coucher) d’autre part persiste d’ailleurs dans le livre « Comment démontrer l’astrologie » paru sept ans plus tard. [2]

Figure 1 : Sphère céleste locale pour une latitude de 45°N. Pour étudier les mouvements apparents des astres, il est commode de considérer la Terre comme immobile au centre d’une sphère de très grand diamètre, sur laquelle les astres sont positionnés tels qu’ils sont vus depuis la Terre, sans considération de la distance qui les sépare de l’observateur. L’horizon local partage la sphère céleste en deux parties, l’une observable et l’autre non. Le zénith est le point de la sphère céleste situé à la verticale au dessus de l’observateur. Le nadir est le point diamétralement opposé au zénith. Puisque la Terre est considérée comme immobile, la sphère céleste dans son ensemble tourne d’Est en Ouest autour de l’axe des pôles. L’équateur céleste est l’équivalent de l’équateur terrestre pour la sphère céleste. Pour l’observateur situé au centre de la sphère céleste, les astres semblent donc « se lever » sur l’horizon Est et se coucher sur l’horizon Ouest. Un astre situé sur l’équateur céleste se lève exactement au point cardinal Est et se couche exactement au point cardinal Ouest. Le méridien céleste local est le grand cercle qui passe par le zénith et les pôles célestes. Lorsque le Soleil (S) traverse le méridien, à mi-chemin entre son lever et son coucher, il est « midi au Soleil » et on dit que le soleil culmine (Le Soleil est ici représenté après sa culmination). L’écliptique est la trajectoire annuelle apparente du Soleil sur la voûte céleste, et sert de support aux signes du zodiaque. Cette trajectoire apparente coupe l’équateur en deux points. L’un de ces deux points, le point vernal (V) a été choisi par les astrologues comme point de référence pour les positions du Soleil et des planètes. Si, par définition, le Soleil (S) est toujours en un point de l’écliptique, cela n’est généralement pas vrai pour la Lune et les planètes, même si elles n’en sont pas très éloignées. L’écliptique coupe l’horizon local en deux points : l’ascendant (AS) sur l’horizon Est et le descendant (DS) sur l’horizon Ouest. Ces deux points de l’horoscope permettent de situer approximativement les planètes par rapport à l’horizon. Le milieu de ciel (MC) est le point de l’écliptique situé sur le méridien local, au dessus de l’horizon, et le fond de ciel (FC) lui est diamétralement opposé. MC et FC permettent de situer approximativement les planètes par rapport à leurs points de culmination* . Une planète (P) se trouve ici exactement en son lever. Sa position ne coïncide ni avec le point cardinal Est, ni avec l’ascendant (AS). Pour les besoins de la représentation plane de l’horoscope, la planète P est ramenée en une position fictive P2 sur l’écliptique. P2 est ici situé « après » l’ascendant (AS) alors que la planète P est exactement en son lever.

4.3 L’inversion des « dominances planétaires » au sein du couple de jumeaux

Les conséquences d’une telle approximation ont-elles une influence sur le résultat du test ? Si l’on exclut Pluton et si l’on accepte une tolérance de quelques degrés (appelée orbe en astrologie), on peut alors accepter de considérer qu’une planète proche d’un angle est également proche de son lever (ou de sa culmination, de son coucher…). D’ailleurs, certains astrologues sensibles aux critiques ont déjà intégré les positions réelles des astres dans leurs calculs, en adjoignant à la carte du ciel classique un thème dit « de domitude ».

En revanche, ce point devient crucial lorsqu’il s’agit de l’étude des jumeaux où les calculs se font « à la minute près ». En effet, il peut se produire dans certains cas un effet d’inversion : la planète considérée comme la plus proche de l’angle pour l’un des deux jumeaux est en réalité la plus éloignée de son lever ou de sa culmination. Ce qui, selon la méthode de SFB, se traduit par une inversion des caractères attribués au jumeaux.

Afin de vérifier que ces effets d’inversion ne sont pas marginaux, nous avons calculé9 les « cartes du ciel » des premiers jumeaux de la liste de SFB (Annexe p. 229). Un tel cas d’inversion se présente en deuxième position dans la liste publiée par SFB. Nous avons effectué les calculs pour l’ensemble des 238 couples de jumeaux de la liste afin de mesurer l’ampleur du phénomène. Nous avons trouvé 36 cas présentant une telle inversion. Donnons-en un exemple.

D’après la liste de SFB, Guillaume et Vincent sont nés le 27 septembre 1985 respectivement à 10h20 et 10h40 (heures légales) en un lieu situé à 49°27′ de latitude Nord et 1°4′ de longitude Est10.


Figure 2 : Thème de Guillaume, né le 27/9/1985 à 10h20 (heure légale) par 49°27’N – 1°04′ E
Figure 3 : Thème de Vincent, né le 27/9/1985 à 10h40 (heure légale) par 49°27’N – 1°04′ E

Après avoir dressé les thèmes des jumeaux, nous pouvons en tirer les informations suivantes :

  • La présence de Pluton près de l’ascendant : à 3°06′ pour Guillaume et à 1°19′ pour Vincent. Selon le critère de SFB, Vincent est plus marqué par la planète Pluton (subconscient, marginalité) que son frère : « … nous décidons que celui dont une planète est plus proche de l’angle sera considéré comme ayant un comportement, une personnalité plus fortement typée par cette planète » (p. 112).
  • La présence de Jupiter près du « fond de ciel ». Nous n’insisterons pas ici car « les planètes proches du nadir (culmination inférieure) ne sont pas prises en compte en raison des faibles corrélations trouvées » (p. 120).

Si l’on consulte les éphémérides de la planète Pluton pour le 27 septembre 1985, on constate que la planète s’est levée ce jour-là à 9h 46min, soit 34 minutes avant la naissance de Guillaume, et 44 minutes avant celle de Vincent. C’est donc bien Guillaume, et non Vincent, qui, au moment de sa naissance, ressentirait le plus « l’influence de la planète qui se lève ».

Longitude écliptique 183° 29 ‘
Latitude écliptique 16° 10 ‘
Lever (heure légale) à la date et au lieu considéré 9h 46min
Tableau 2 : Éphémérides de Pluton pour le 27/9/1985 (49°27’N – 1°04’E).
Guillaume Vincent
Heure légale de naissance 10h 20mn 10h 30min
Longitude écliptique AS 180° 22′ 182°10′
Écart en longitude AS-pluton (angularité) 3°06′ 1°19′
Écart temporel avec le lever réel de Pluton 0h 34mn 0 h 44mn
Hauteur sur l’horizon 5°30′ 7°06′
Tableau 3 : Données concernant Pluton dans les thèmes de Guillaume et Vincent. La naissance de Guillaume a lieu lorsque cette planète est plus proche de l’horizon. À l’inverse, Pluton est plus proche de l’ascendant (AS) dans le thème de Vincent car la latitude écliptique n’a pas été prise en compte. Les données astronomiques peuvent varier selon les différents paramètres pris en compte pour l’observateur local : altitude, réfraction atmosphérique, etc. L’essentiel est ici de vérifier que l’angularité ne permet de tirer une conclusion valable quant à la hauteur d’un astre sur l’horizon.

Considérer l’angle avec l’AS (respectivement MC ou DS) n’est donc pas équivalent à observer la planète en son lever (respectivement culmination ou coucher). Cela provient tout simplement de l’oubli d’une coordonnée, la latitude écliptique qui n’apparaît pas lorsque l’on examine les angles sur la carte du ciel purement « zodiacale ». Ce cas d’inversion est particulièrement instructif. La planète Pluton est préférentiellement impliquée dans ce phénomène d’inversion, en raison de la forte inclinaison de son orbite par rapport au plan de l’écliptique qui lui autorise des latitudes écliptiques importantes. À noter que la Lune et les autres planètes peuvent être également en cause. L’annexe 2 résume le nombre d’inversions rencontrées dans l’échantillon de SFB pour chaque planète.

Suzel Fuzeau-Braesch confond planète « proche » de son lever et planète « proche » de l’ascendant. D’ailleurs cette notion de proximité n’est pas rigoureusement définie : quand considère-t-on qu’une planète est « proche » de l’angle en question ? Quelle est la marge d’erreur en jeu, nommé orbe en astrologie ?

L’orbe n’est pas précisée, bien que sa définition soit donnée en glossaire : « Une approximation de quelques degrés est conventionnellement tolérée : on appelle cette dernière l’orbe. » (p. 219).

Il apparaît donc que les conclusions de SFB s’appuient sur un positionnement trop approximatif des planètes, et que dans un certain nombre de cas loin d’être négligeable, les caractéristiques psychologiques attribuées au jumeaux sont inversées. Dans l’exemple précis que nous venons de donner, nous nous garderons de conclure : supposons que la réponse donnée par la famille de Guillaume et Vincent soit dans ce cas « inverse ». Il serait alors possible de transformer cette réponse inverse en succès? à condition d’effectuer la même correction pour tous les autres cas11. SFB n’a malheureusement pas précisé dans la liste publiée si la réponse de chaque famille est « juste », « inverse », ou « nulle ». L’étude, telle qu’elle est présentée, n’a donc aucune valeur scientifique.

5. Deuxième méthode : les signes à l’ascendant

Il se peut qu’aucune planète ne soit « proche des angles » dans les cartes du ciel des jumeaux. SFB doit alors recourir à une deuxième méthode. Celle-ci fait appel au(x) signe(s) du zodiaque en ascendant, en remplacement des planètes. Les caractéristiques psychologiques visées par cette méthode liées au degré d’introversion ou d’extraversion attribuée au signe solairedef dans des travaux statistiques antérieurs, ainsi que les caractères attribués par la tradition :

« Ainsi, si les deux moments de naissance des jumeaux sont tels que leur ascendant change de signe, l’interprétation est évidente : « plus expansif » et « moins expansif » pour, respectivement, le signe pair et le signe impair, en y ajoutant éventuellement la valeur traditionnelle astrologique des deux signes. » (p. 121).

Lorsque le signe en ascendant ne change pas entre les deux naissances, ce qui constitue le cas le plus fréquent, la règle mise en oeuvre relève quant à elle de l’innovation :

« Par exemple, deux jumeaux dont les Ascendants sont respectivement à 16° et 22° du signe des Gémeaux seront, le premier « plus mobile, plus expansif » (= signe des Gémeaux) et le second « moins expansif, plus attaché à la mère » (= signe du Cancer). » (p. 121).

Nous ne chercherons pas ici à développer plus avant la logique de cette méthode et les incohérences qu’elle peut entraîner (voir figure 4). Nous préférons examiner les conclusions que l’on peut tirer des résultats obtenus.

Les travaux antérieurs concernant le degré d’introversion/extraversion ont pour base le signe solaire. Or, SFB adapte et étend ces résultats au signe en ascendant. Si le signe solaire possède une interprétation astronomique évidente, liée à la saison de naissance, autrement dit la position de la Terre autour du Soleil par rapport aux équinoxes, l’auteur ne dit mot sur la réalité qu’elle attribue au signe ascendant. Elle précise :

« L’écliptique de la sphère céleste est divisée en 12 signes zodiacaux de 30° chacun à partir du point vernal correspondant à l’équinoxe de printemps (21 mars).

Il s’agit du zodiaque dit « tropique » permettant le positionnement de la Terre sur son orbite autour du Soleil ; ce zodiaque n’est pas en relation avec les étoiles dites « fixes »… » (p. 112).

Plus loin dans son ouvrage, SFB insiste : « Cela signifie que le 20-21 mars, le Soleil vu de la Terre est situé, par convention, à l’entrée du signe du Bélier. Le zodiaque tropique def n’est ainsi rien d’autre qu’une bonne façon de positionner la Terre sur son orbite autour du Soleil. » (p. 187).

Pour conclure, selon SFB, le zodiaque tropique* est « en somme « une astuce pratique » permettant de repérer la position de la Terre sur son orbite autour du Soleil? » (p. 187).

Ce qui est visiblement en contradiction avec une remarque faite à propos de l’étude sur les jumeaux : « Nos rédactions de formules psychologiques ne prennent jamais en compte le signe solaire. » (p. 135).

Si le zodiaque n’est qu’une astuce, une convention destinée uniquement à repérer la position de la Terre autour du Soleil, pourquoi le considérer ici dans le mouvement diurne de la Terre (lever, culmination, coucher) et en aucun cas dans son trajet annuel autour du Soleil ?

À quoi correspond le signe en ascendant ? En d’autres termes, quelle est la réalité d’un secteur conventionnel de 30° qui se lève, culmine ou se couche ? Un signe n’est pas un astre ni même un regroupement d’astres, puisqu’il n’a « rien à voir avec les étoiles fixes »12 (p. 189).

SFB se déclare en faveur d’une explication causale et physique de l’astrologie : « Il n’y a que deux attitudes fondamentales possibles : l’occultisme ou l’objectivité scientifique » (p. 189). Si l’on adopte a priori un point de vue « causaliste » et scientifique, on devrait être très surpris qu’un signe, un casier vide conventionnel dépourvu de réalité physique (ni étoile ni planète), possède la même « pouvoir » qu’un astre réel. Se pourrait-il que le lever d’une planète – autrement dit un astre – produise le même effet qu’une signe abstrait – autrement dit rien du tout ?

À propos de la différence entre les deux méthodes (planètes et signes), SFB commence par poser la question : « Les réponses justes ne sont-elles pas le fait de l’une ou de l’autre de ces méthodes ? Voilà une question indispensable à étudier. » (p. 131).

Les résultats statistiques présentés permettent de répondre par la négative : « On peut donc conclure que les réponses justes ou inverses ne sont pas liées au mode d’extraction des données psychologiques à partir des cartes du ciel de naissance des jumeaux. » (p. 131).

SFB ne discute pas les conséquences logiques de ce résultat :

« Ainsi, non seulement nous avons obtenu une bonne confirmation de l’astrologie dans ce test, mais nous sommes parvenus à donner un aspect plus subtil, plus quantitatif aux définitions astrologiques dans leur ensemble. Par exemple, les signes du zodiaque ne sont plus aussi tranchés : la fin d’un signe est déjà en rapport avec son voisin. Aux astrologues de systématiser tout cela et de dire leur avis. Quoi qu’il en soit, « ça marche ». » (p. 134).

La conclusion s’impose : il serait tout aussi légitime d’utiliser les planètes que les signes du zodiaque en ascendant, qui sont des éléments fondamentalement différents. Dans un cas il s’agit de prendre en compte un astre, dans le second, il s’agit d’un secteur du ciel abstrait de 30°. Si le signe en ascendant est un élément qui est souvent cité dans les médias en association avec le signe solaire (« Scorpion ascendant Balance »), certains astrologues réfutent l’utilisation du signe en ascendant. Les uns arguent du fait que le signe en ascendant n’a pas de réalité physique, les autres qu’il ne peut être pris en compte isolément. D’ailleurs Ptolémée, qui a codifié l’astrologie occidentale au IIe siècle de notre ère, n’a jamais donné plus d’importance au signe en ascendant qu’elle n’en méritait : une manière de positionner (en donnant, en plus du signe, le degré) ce lieu particulier qui ne prend toute sa signification que par les planètes qui s’en trouvent proches13.

Si l’on accepte les résultats de l’expérience de SFB, on doit reconnaître, à l’encontre de la logique scientifique qu’elle défend, le caractère ésotérique et étrange de l’influence des signes. On doit également accepter que les signes ne sont pas uniquement un moyen de repérer la Terre dans sa course autour du Soleil, mais qu’ils ont aussi une autre signification. SFB, qui rejette avec force l’astrologie ésotérique et symboliste, reste silencieuse sur ce point.

Figure 4 : Lorsqu’il n’y a aucune planète proche de l’ascendant, du milieu de ciel ou du descendant, Suzel Fuzeau-Braesh utilise les signes du zodiaque. Dans le cas le plus probable, les deux ascendants sont situés dans le même signe. Pour départager les deux jumeaux sur le plan psychologique, SFB tient compte du signe voisin. Ainsi, dans cet exemple, le premier né, avec son ascendant à 5° de la Vierge, est plus « Lion » que son frère, dont l’ascendant est à 6° de la Vierge. Paradoxe : ce dernier, typé « Vierge » serait considéré comme plus « Lion » si son frère était né à 15° de la Vierge… Il convient également de remarquer qu’aucun astre n’est ici pris en compte, le signe étant « vide ». Censé uniquement servir de repère pour les positions des planètes, de la Lune et du Soleil, les signes du zodiaque, secteurs fictifs de 30° chacun, sont ici utilisés individuellement comme s’ils étaient des astres. Précisons enfin que dans le cadre de l’astrologie sidéraledef (écartée par l’auteur), ce sont les étoiles de la constellation du Lion qui se lèvent sur l’horizon aux naissances des deux jumeaux, alors que ces derniers ont leur ascendant dans le signe de la Vierge.

6. Un test latéralisé et une absence d’échantillon de contrôle

Le formulaire du test se présente sous la forme d’une feuille avec deux parties symétriques où sont mentionnées les descriptifs extraits des thèmes astrologiques. En dessous de chaque texte est dessinée une case que les familles sont invitées à compléter avec le prénom du jumeau qui lui correspond le mieux. Le texte du premier né est toujours à droite, celui du second à gauche. Il y a donc une inversion par rapport au sens gauche – droite de l’écriture et cela implique selon SFB « une démarche réfléchie supplémentaire ». « Que mes très aimables correspondants me pardonnent ce petit « piège » nécessaire pour valider au maximum le travail entrepris… » (p. 122).

Évoquant plus loin une éventualité d’absence d’effet astrologique (cas des naissances provoquées ou par césarienne) SFB déclare qu’« … elles [les familles] auraient toutes répondu au hasard (proportion 0,5) avec un réponse soit « inverse », soit « nulle ». Mais se souvenant que le questionnaire comportait une inversion typographique des deux profils psychologiques, on aurait même dû obtenir plus de réponses inverses que de justes avec une proportion supérieure à 0,5 dans ce sens. » (p. 163).

Cet argument est bien fallacieux : en quoi l’ordre droite gauche biaiserait-il les réponses des familles dans ce sens-là ? Le biais en faveur des réponses inverses est certes a priori séduisant, mais SFB n’apporte aucune preuve pour l’étayer.

D’après son auteur même, le test est conçu de telle sorte que la fréquence théorique en l’absence d’effet astrologique est différente de 0,5, nombre qu’elle utilise par ailleurs dans le test statistique ! Pire, la fréquence théorique est inconnue. Pour effectuer une comparaison efficace, il aurait été préférable d’utiliser un échantillon de contrôle soumis au même test mais avec des descriptifs choisis de façon aléatoire par opposition à ceux choisis d’après les « cartes du ciel ».

7. L’extraction des textes descriptifs

Nous avons vu que SFB emploie deux méthodes pour écrire les courts textes descriptifs proposés aux jumeaux ou à leurs familles. Qu’en est-il des textes eux-mêmes ? Comment est choisie la méthode qui convient le mieux dans chaque cas ?

La première méthode, rappelons-le, utilise l’« angularité » des planètes (ou des luminaires). À chaque planète (sauf Vénus, oubliée) est attaché un certain nombre de mots-clefs (liste de la page 112) :

Soleil Force de vie, volonté
Lune Sensibilité, émotion
Mercure Système mental, communication
Mars Énergie, agressivité
Jupiter Autorité, sociabilité, expansion
Saturne Réflexion, solitude, lenteur
Uranus Directivité, originalité
Neptune Inspiration, intuition, rêve
Pluton Subconscient, marginalité
Tableau 4 : Mots-clefs attribués à chaque planète ou luminaire.

En ce qui concerne la seconde méthode, celle des signes, une liste de mots-clefs est également proposée, ainsi qu’un qualificatif d’introversion ou d’extraversion comme nous l’avons vu plus haut (listes des pages 114 et 115) :

Bélier Extraverti Energie, action
Taureau Introverti Patience, stabilité
Gémeaux Extraverti Adaptabilité, mobilité
Cancer Introverti Famille, sentimentalité
Lion Extraverti Puissance, domination
Vierge Introverti Méthode, pudeur
Balance Extraverti Harmonie, conciliation
Scorpion Introverti Secret, mystère
Sagittaire Extraverti Ouverture, idéal
Capricorne Introverti Sérieux, lenteur
Verseau Extraverti Indépendance, relation sociale
Poisson Introverti Dévouement, vulnérabilité
Tableau 5 : Mots-clefs attribués à chaque signe du zodiaque.

Les mots-clefs correspondant aux signes ou aux planètes ne sont pas ceux employés dans la communication avec les familles. Les termes employés sont donnés dans une autre liste.

En revanche, ces termes employés pour qualifier les jumeaux ne sont pas mis en regard des planètes ou des signes qui sont censées leur correspondre. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Voici cette liste (p. 119) :

Actif ; affectif ; attaché à la mère ; communicatif ; décidé ; directif ; dominant ; doux ; émotif ; énergique ; expansif ; ferme ; imaginatif ; indépendant ; mobile ; réactif ; réceptif ; réfléchi ; réservé ; rêveur ; secret ; sensible ; sérieux ; s’impose ; sociable ; souple (de caractère) ; stable ; tranquille ; vif.

Même si la correspondance entre les deux premières listes et la troisième relève pour certains termes de l’évidence, elle fait appel à la subjectivité du lecteur dans d’autres. C’est dommage pour une étude souhaitant satisfaire aux critères de scientificité, critères qu’elle ne remplit pas correctement, et ce pour la seconde fois. En effet, une analyse rigoureuse des données brutes par une tierce personne n’est à l’évidence pas possible.

La lecture de ces dix monographies montre clairement la place laissée à la subjectivité dans l’interprétation des thèmes. L’auteur le souligne d’ailleurs, un thème astral, même limité à ses « angles », peut comprendre de nombreux éléments (plusieurs planètes ou signes en AS, MC ou DS), et pour en extraire un texte laconique, il faut faire des choix. Ce sont ces choix qui relèvent de la subjectivité. Les astronomes François Biraud et Philippe Zarka font remarquer que le langage utilisé suggère « un biais personnel de l’auteur » [3]. C’est tout le problème de ce type d’expérimentation, faisant appel à des interprétations subjectives et menée par une personne isolée : les critères garantissant une parfaite impartialité de l’expérience ne sont pas respectés, d’autant plus que l’auteur déclare avoir contacté une partie des familles par « relations personnelles » (p. 116). L’argument est également valable pour une personne a priori défavorable à l’astrologie.

Précisons par exemple que la grande majorité des thèmes des jumeaux présentent des planètes angulaires, car seulement 28 thèmes sont sans planète aux angles selon le critère défini par SFB (avec une orbe de dix degrés conformément à la tradition astrologique). Or, l’auteur traite 48 cas comme s’il n’y avait aucune planète dite angulaire. Ainsi une vingtaine de cas présentant des planètes angulaires ont été « laissées de côté » pour être remplacés par les signes, probablement jugés plus importants.

Prenons la première des dix monographies : Florence et Carole sont nées selon SFB le 10 novembre 1965 à 16h15 et 16h40 en un lieu situé à 7°14′ de longitude Est et 43°27 de latitude Nord14. Les textes proposés sont (1) Plus décidé et expansive pour Florence et (2) plus réaliste et moins expansive pour Carole. Ces textes ont été proposés sur la base d’un changement de signe en ascendant (Bélier pour Carole, Taureau pour Florence – Notons au passage que le terme « réaliste » est absent de la liste présentée page 119). Si l’on observe les planètes aux angles, on remarque la planète Vénus (oubliée dans la liste p. 112, mais correspondant dans la tradition aux sentiments) à 9° du milieu de ciel pour Florence et à plus de 12° pour Carole. Selon le critère de l’« angularité planétaire », Florence serait donc plus « vénusienne » que Carole. Pourquoi ne pas avoir pris en considération cette planète ? N’est-elle pas assez « proche » du milieu de ciel15 ? Dans un ouvrage paru ultérieurement[2], SFB utilise une orbe de 15°. Si, par souci de cohérence, nous prenons la même valeur de 15°, alors nous devrons prendre en compte cette planète.

Pour éviter le problème de la partialité de l’expérimentateur, il eut été préférable de mener l’expérience en double aveugle. Voici la définition de ce critère donné par SFB dans son glossaire :

« Double aveugle : Technique méthodologique en expérimentation biologique, médicale, etc., consistant à faire ignorer à l’expérimentateur – et aux expérimentés – la nature des échantillons – des cas – utilisés successivement, ceux-ci étant composés de lots désignés par un code secret. Par exemple, l’expérimentateur est « aveugle » du fait qu’il ne dispose pour seule information, lorsqu’il opère, que d’un code au hasard, ne lui permettant pas de différencier ses échantillons, réels ou de contrôle. Il ne risque pas, ainsi, d’être influencé inconsciemment par une quelconque prévision des résultats. » (p. 220).

N’ayant pas mené son expérience selon ce critère, Suzel Fuzeau-Braesh reconnaît donc implicitement qu’elle n’est pas à l’abri d’un biais lié à son parti pris.

8. Et les données de départ ?

Dans cette étude, nous n’avons pas cherché à examiner la validité du « matériel statistique » utilisé, à savoir les 251 couples de dates, heures et lieu de naissance. Une partie de ce travail a déjà été menée par Henri Broch[4], de l’Université de Nice, qui a constaté l’absence des registres de l’état civil pour des jumeaux de la liste. Les coordonnées de la ville, en l’occurrence Nice, sont par ailleurs fausses puisque situées en mer. Laurent Puech [5], du Cercle zététique Languedoc Roussillon, a pu constater des écarts de quelques minutes entre les horaires fournies par les familles (utilisées par SFB) et celles enregistrées à l’état civil. Même constat de cet auteur à propos d’absences des registres pour une autre ville du sud de la France. Ces vérifications, effectuées par « sondage » dans la liste, augurent mal de la robustesse de l’ensemble des données d’origine, et contrastent fortement avec le déterminisme allégué, précis à la minute près.

9. Conclusion

Présentée comme une expérience scientifique cruciale et inédite destinée à sortir du débat entre ceux qui « y croient » et ceux qui « n’y croient pas », l’expérience sur les jumeaux est décevante.

Sur le plan astronomique : la confusion entre les angles (ascendant, milieu de ciel et descendant) et les notions de lever, culmination et coucher induit des écarts notables entre les positions réelles et fictives des planètes. Ces écarts ont souvent pour conséquences, avec les jumeaux où les instants de naissances sont rapprochés, d’inverser les dominantes qui leur sont attribuées.

Sur le plan méthodologique : le protocole suivi ne permet pas à une tierce personne d’examiner, voire répliquer, rigoureusement cette expérience ; et certaines données manquent de la précision nécessaire. Plus grave, les critères garantissant une neutralité de l’expérimentateur vis-à-vis de son sujet d’étude ne sont pas respectés (échantillon de contrôle, double aveugle).

Enfin, les conclusions les plus intéressantes ne sont pas tirées, et sont même en contradiction avec les affirmations de l’auteur faites par ailleurs. Ainsi, le découpage de l’écliptique en un zodiaque conventionnel censé uniquement positionner la Terre autour du Soleil peut être détourné de son but premier pour être considéré dans son mouvement quotidien. L’astrologie symboliste gagne ce que l’astrologie naturelle et « scientifique » perd. Et les planètes réelles (bien que positionnées fictivement, en ronde sur l’écliptique) doivent partager l’action causale prônée par l’auteur avec des purs symboles, secteurs géométriques de 30° vides d’étoiles… En d’autres termes, et si l’on souhaitait conclure sur un ton quelque peu polémique : l’astrologie selon Suzel Fuzeau-Braesh, « ça marche », même quand les positions planétaires sont fausses et même quand… il n’y a pas de planète.

Cependant, « Astrologie, la preuve par deux » est un livre particulièrement instructif. D’abord parce qu’un panorama intéressant des différentes conceptions de l’astrologie y est présenté, même s’il l’est de façon très orientée en faveur d’une conception scientifique de celle-ci. Ensuite parce que l’on rencontre là une personne, scientifique professionnelle, qui tente de mettre en accord, au prix d’un certain nombre d’omissions et de contradictions logiques, sa passion et sa conviction pour l’astrologie avec sa propre rationalité causaliste et déterministe.

Frédéric Lequèvre, mars 2006.

Notes

1 Les termes suivis d’un astérisque sont définis dans le glossaire.

2 Si l’on se fie à la syntaxe de cette phrase, ce sont les « faits scientifiques » qu’il faudrait abandonner… Or, à la lecture de l’ouvrage il est évident que l’auteur souhaite que l’on abandonne les préjugés anti-astrologiques. Cette ambiguïté est-elle volontaire ?

3 L’expérience de Carlson comporte deux parties : d’une part, des volontaires doivent tenter, après avoir communiqué leurs coordonnées de naissance, de se reconnaître dans une des trois descriptions psychologiques qui leur sont proposées par des astrologues. D’autre part, ces derniers doivent tenter de reconnaître la bonne description psychologique (toujours parmi trois) à partir d’un thème astral interprété. Aucun des deux volets de l’expérience ne permet de valider l’hypothèse astrologique. Shawn Carlson : a double blind test of astrology, Nature, vol. 318, déc. 1985, 419-425.

4 L’activité solaire se répercute sur le champ magnétique terrestre avec un délai variable, fonction de la vitesse des particules mises en cause, délai qui peut varier de quelques heures à quelques jours. Difficile, donc, de dresser un thème astral de naissance à quelques minutes près dans ces conditions.

5 Le vocabulaire utilisé n’est peut-être pas neutre : ce ne sont pas les propositions de textes qui sont jugées comme des succès ou des échecs, mais les réponses des familles qui sont jugées « justes » ou « inverses » par rapport aux prévisions de l’astrologue.

6 Michel Gauquelin a exposé sa théorie sur l’influence des planètes dans « La vérité sur l’astrologie », éditions du Rocher, 1984. La dernière réplication en date, suivant un protocole validé par Gauquelin, est négative : « The Mars Effect », Claude Benski, Dominique Caudron, Yves Galifret, Jean-Paul Krivine, Jean-Claude Pecker, Michel Rouzé et Evry Schatzman. Prometheus Books, 1996.

7 Les listes de professionnels célèbres sont extraites d’ouvrages de référence.

8 Une autre raison réside dans le fait que l’axe de rotation de la Terre n’est pas perpendiculaire au plan de l’écliptique (voir figure 1).

9 Logiciel ASTROLOG 5.41 de W.D. Pullen.

10 La ville de Rouen.

11 Dans le cas le plus favorable à SFB, les 36 inversions ont lieu de « inverse » à « juste », le nombre de réponses justes passe à 189 et celui de réponses inverses à 29. À l’opposé, dans le cas le plus défavorable, le nombre de réponses justes passe à 117 et le nombre de réponses inverses à 101, proportion qui n’est plus du tout significative.

12 Les constellations d’étoiles fixes ne correspondent plus aux signes du zodiaque à cause du phénomène de précession des équinoxes. Conscient de ce décalage, Ptolémée, lorsqu’il codifia l’astrologie, fit commencer l’origine du zodiaque tropique à l’équinoxe de printemps, et rattacha les caractéristiques de ce zodiaque fictif aux saisons.

13 On peut se poser la question de la signification du signe en ascendant en tant qu’information unique : dire qu’untel est « ascendant Scorpion » a-t-il une signification astronomique particulière ? Le signe du Scorpion n’est pas un astre ni même un groupe d’astre. Il s’agit uniquement d’un repère permettant de situer les astres les uns par rapport aux autres et par rapport à l’horizon. Si l’on ne connaît que la position du signe fictif Scorpion par rapport à l’horizon sans connaître celles des planètes par rapport à ce signe, on ne peut rien conclure quant aux configurations planétaires par rapport à l’horizon. Pour calculer la position de l’ascendant sur le zodiaque, l’astrologue a besoin des coordonnées du lieu de naissance, de la date et de l’heure de naissance. La position du point ascendant lui permettra alors de positionner l’ensemble des astres par rapport à l’horizon. En revanche, la seule connaissance du signe en ascendant sans autre précision ne permet pas, par exemple, de retrouver l’heure même approximative de la naissance (parce que l’heure de lever du signe dépend de la date), et partant la position du Soleil par rapport à l’horizon. À la rigueur, les connaissances conjointes du signe en ascendant et du signe solaire permettent de positionner le Soleil par rapport à l’horizon, quoique de manière très approximative. Par exemple la donnée « Scorpion ascendant Scorpion » permet de dire que le Soleil se trouve en Scorpion et que l’ascendant se trouve également en Scorpion. Le Soleil se trouve donc « proche » de l’horizon (à plusieurs dizaines de degrés près !). Un astrologue « tropicaliste » (voir la définition du zodiaque tropique* dans le glossaire) ne devrait pas, par souci de cohérence, utiliser un signe zodiacal comme s’il s’agissait d’un astre.

14 Ces données sont entachées d’imprécision. Voir [4].

15↑ Accepter une tolérance de 10° dans ce cas est en accord avec la tradition astrologique.

Références

[1] ↑ Suzel Fuzeau-Braesch : Astrologie : la preuve par deux, Robert Laffont, collection « Les dossiers science frontière », 1992.

[2] ↑ Suzel Fuzeau-Braesch, Hervé Delboy : Comment démontrer l’astrologie, Expérimentations et approches théoriques, Albin Michel, collection « Aux marches de la science », 1999.

[3] ↑ François Biraud, Philippe Zarka : Sur l’astrologie – Réflexions de deux astronomes.

[4] ↑ Henri Broch : L’extravagante manip des jumeaux, Science et Vie n° 916, janvier 1994.

[5] ↑ Laurent Puech : Et les jumeaux en Languedoc-Roussillon ? (« Dossiers du Cercle zététique »).

Glossaire

(retour) Angle

En astrologie, un « angle » est l’un des quatre points du thème astral que sont l’ascendant* (AS), le milieu de ciel (MC), le descendant (DS) et le fond de ciel (FC).

(retour) Angularité

Une planète est dite angulaire en astrologie si elle se trouve proche d’un des angles* du thème astral.

(retour) Ascendant

Point d’intersection entre l’écliptique* et l’horizon local.

(retour) Barnum (effet)

Tendance d’un individu à considérer une description de sa personnalité comme fidèle et précise. Cet effet connu en psychologie sous le terme de « validation subjective » a été découvert par Forer à la fin des années quarante. Par exemple, les personnes adhèrent d’autant mieux à une description de type « horoscopique » que celle-ci est présentée comme issue de données précises : lieu, date et heure de naissance. L’effet Barnum est vérifié quand bien même la description de la personnalité est vague et générale. En zététique, on parle d’« effet puits ».

François Filiatrault : « L’effet Barnum, une simple curiosité ? », Science et Pseudosciences n°256, mars 2003.

(retour) Classe

En statistique, une classe est le regroupement de tous les individus ayant la même modalité du caractère étudié. Si le caractère étudié est l’âge, par exemple, on regroupera tous les individus de même âge dans une même classe. Une simplification consiste alors à réduire le nombre de classes en augmentant leur amplitude : on considère alors (par exemple) comme appartenant à une même classe tout individu dont l’âge est supérieur ou égal à 10 ans et inférieur à 20 ans.

(retour) Culmination

Le passage d’un astre en sa position la plus haute au dessus de l’horizon est appelé culmination supérieure. À l’opposé son passage en sa position la plus basse sous l’horizon, l’astre étant alors invisible, est appelé culmination inférieure. La hauteur d’un astre est l’angle mesuré (en degrés) entre l’horizontale et la ligne de visée dans la direction de l’astre en question. Le simple terme « culmination » est souvent utilisé en lieu et place de « culmination supérieure ».

(retour) Écliptique

Trajectoire apparente parcourue annuellement par le centre du soleil sur la sphère céleste. On appelle « plan de l’écliptique » le plan contenant l’orbite de la Terre. C’est pourquoi on définit également l’écliptique comme l’intersection du plan de l’orbite terrestre avec la sphère céleste (voir la figure de l’annexe 1).

(retour) Généthliaque

L’astrologie généthliaque est l’astrologie qui établit et interprète le thème de naissance d’un individu.

(retour) Signe solaire

Signe du zodiaque tropique* dans lequel se trouve le Soleil au moment de la naissance d’un individu.

(retour) Signe zodiacal

Voir Zodiaque tropique*.

(retour) Zodiaque sidéral

Dans les astrologies sidérales, les positions du Soleil, de la Lune et des Planètes sont repérées par rapport aux étoiles dites fixes. Ces dernières forment des figures fictives appelées constellations. Douze constellations ont donné leurs noms aux signes du zodiaque (voir zodiaque tropique*).

(retour) Zodiaque tropique

Dans l’astrologie tropique, les positions des astres sont repérées par rapport au point vernal, position occupée par le Soleil lors de l’équinoxe de printemps dans l’hémisphère Nord (voir annexe 1). L’écliptique est divisée, en partant du point vernal, en douze secteurs abstraits de trente degrés chacun, les signes du zodiaque. Ceux-ci sont liés à la succession des saisons et sont bien connus pour leur utilisation dans les horoscopes de la presse. Les signes ne coïncident pas avec les constellations du même nom.

Annexes

Annexe 1: les coordonnées célestes

Pour repérer les astres sur la sphère céleste locale (sphère fictive centrée sur la terre T), on utilise deux systèmes de coordonnées : les coordonnées équatoriales et écliptiques. L’équateur céleste est la projection sur la voûte céleste de l’équateur terrestre : c’est l’intersection du plan équatorial avec la sphère céleste. L’écliptique est la trajectoire apparente annuelle du Soleil : c’est l’intersection du plan de l’écliptique* avec la sphère céleste. Les deux systèmes de coordonnées sphériques ont la même origine : le point vernal (noté V sur les figures), position apparente du Soleil lors de l’équinoxe de mars (passage du Soleil de l’hémisphère sud à l’hémisphère nord, correspondant au début du printemps dans cette dernière). La même planète P est repérée dans chacun des systèmes par un couple de mesures d’angles. Noter qu’en raison de la rotation de la Terre sur elle-même, un observateur située sur celle-ci verra la sphère céleste tourner autour de lui sur l’axe des pôles célestes, entraînant avec elle les deux systèmes de coordonnées.

Dans le système équatorial :

La mesure de l’angle VTP1 est l’ascension droite, notée alpha ou AD et exprimée en degrés (de 0° à 360°) ou en heures (de 0h à 24h).

La mesure de l’angle P1TP est la déclinaison, notée delta et exprimée en degrés (de -90° au sud à +90° au nord). Cette mesure est effectuée le long d’un méridien céleste (cercle de centre T passant par les pôles célestes N et S).

Annexe 1a

Dans le système écliptique :

La mesure de l’angle VTP2 est la longitude écliptique (ou zodiacale), notée lambda et exprimée en degrés (de 0° à 360°). C’est cette valeur qui est inscrite sur un thème de naissance à côté du symbole de la planète.

L’angle P2TP est la latitude écliptique (ou zodiacale), notée beta et exprimée en degrés (de -90° à +90°). Cet angle est très souvent négligé par les astrologues. Remarquer que la latitude écliptique n’est pas mesurée sur un méridien céleste, mais sur un autre cercle de centre T, passant par la planète P et le pôle de l’écliptique N’, différent du pôle nord céleste N.

Annexe 1b

Annexe 2 : latitude écliptique des planètes et effet d’inversion dans la population de jumeaux

Nous donnons ici le nombre de cas d’inversion des « caractères » attribuées aux jumeaux pour chaque planète, avec un rappel de l’inclinaison de l’orbite de chacune par rapport au plan de l’écliptique.

Il est clair que les planètes les plus souvent impliquées sont celles qui présentent une inclinaison de leur orbite la plus importante. À l’opposé le Soleil, dont la latitude écliptique est par définition nulle, n’est jamais mis en cause.

Les cas d’inversion représentent 17% des configurations calculées (planètes dites angulaires).

Planète ou satellite Inclinaison de l’orbite sur l’écliptique Nombre de cas d’inversions
Mercure 7°0’16 » 1
Vénus 3°23’40 » 2
Mars 1°50’59 » 2
Jupiter 1°18’21 » 1
Saturne 2°29’10’ 4
Uranus 0°46’19 » 0
Neptune 1°46’23 » 2
Pluton 17°8’13 » 1
Lune (moyenne) 5°6′ 7
TOTAL 36
Astrologie : la preuve par deux ?